Les survivalistes, prêts à tout
En cas de catastrophe, ils seront prêts, car les survivalistes pensent à tout, même à lancer leur salon, en France. Il ne leur reste plus qu’à attendre la fin du monde.
LE MONDE | 23.03.2018 à 14h42 • Mis à jour le 24.03.2018 à 06h47 | Par Patricia Jolly
Tom Hanks est « Seul au monde » (Robert Zemeckis, 2000) et, surtout, sans allumettes. RUE DES ARCHIVES
Et si nous nous préparions à la fin du monde ? Clément Champault, John Herbet-Karlsson et Pierre Nicolas n’ont rien d’émules de Rambo, mais ce trio d’entrepreneurs, issus d’écoles de commerce et âgés de 25 ans, entend bien nous guider au cas où le ciel nous tomberait sur la tête. Du 23 au 25 mars, ils organisent au Paris Event Center, porte de La Villette, le premier Salon du survivalisme.
Combat et survie en montagne, initiation à la permaculture, sensibilisation aux plantes sauvages comestibles et médicinales ou aux comportements animaliers, art de la navigation ancestrale, gestes de premiers secours, dépassement de soi, télécommunications en situation de crise, autonomie dans la vie quotidienne… De l’écolo sincère au cadre d’entreprise en mal de frissons, il y en a pour tous les goûts dans les thèmes des ateliers et conférences que déclinera ce salon sur trois jours.
« LES GENS DOIVENT ÊTRE PRÉPARÉS À ABSORBER LE CHOC ET À Y SURVIVRE, POUR REBONDIR ET SE RELANCER. » CLÉMENT CHAMPAULT, COORGANISATEUR DU SALON DU SURVIVALISME
« Nos besoins primaires et notre mode de vie sont dépendants d’infrastructures, de chaînes d’approvisionnement ou de réseaux en apparence stables et sécurisés, mais un certain nombre d’événements sont susceptibles de les perturber, explique très sérieusement Clément Champault. Ça peut être une catastrophe naturelle mais aussi une perte d’emploi, un acte de malveillance, une crise sanitaire ou sociale, un attentat. Et, comme une entreprise touchée par une crise, les gens doivent être préparés à absorber le choc et à y survivre, pour rebondir et se relancer. »
100 000 à 150 000 survivalistes en France
Soucieux de rompre avec la caricature qui présente le survivaliste comme « un mec terré dans son bunker avec trois ans de stock de nourriture et des armes » et de toucher un public bien plus large que la communauté survivaliste – entre 100 000 et 150 000 personnes s’en revendiquent en France sur les réseaux sociaux –, les organisateurs ont accolé à leur événement un sous-titre : « Autonomie et développement durable ». Ainsi, sur les 5 000 m2 d’exposition, une centaine de stands proposeront un éventail de produits allant du stage de survie au kit d’évacuation, en passant par le sac à dos, la tente, le couteau multifonction ou les systèmes de purification d’eau.
Pour la prochaine édition, Clément Champault aimerait encore élargir la cible en invitant « des concepteurs de bâtiments d’agriculture verticale dédiés à la production urbaine de fruits et légumes. Si cette première édition est un succès, rien ne nous interdira de consacrer un hall à l’autosuffisance et un autre à l’outdoor-survie », s’enthousiasme-t-il. Le jeune entrepreneur ne nie pas la « logique commerciale » de l’opération. « Il y a un marché potentiel énorme, déclare-t-il. Nous toucherons aussi bien des gens convaincus par la nécessité de prévenir le risque, d’être résilient, que le grand public adepte des émissions de télévision sur la survie comme “Man vs Wild”. »
Denis Brogniart aurait fait un parrain idéal, mais l’animateur de « Koh-Lanta » n’a pas répondu aux sollicitations des organisateurs. Quant à l’aventurier suisse Mike Horn, « sa fille nous a dit qu’il aurait sûrement été intéressé, mais il n’était pas disponible », affirme Clément Champault, qui avoue la difficulté de fédérer autour du seul thème du survivalisme. Si la cellule de recrutement de l’armée de terre – consciente du vivier que représentent les 8 000 à 10 000 visiteurs attendus – s’est rapidement associée au salon, tout comme de grandes enseignes de matériel outdoor, d’autres partenaires et exposants potentiels ont fait la fine bouche. « Beaucoup nous ont répondu qu’ils préféraient attendre avant d’accoler leur image au salon », regrette Clément Champault.
Viser l’autonomie
Pas sûr qu’ils goûtent la présence de Piero San Giorgio dans le casting des conférenciers de cette première édition… Dans Survivre à l’effondrement économique, publié en 2011 (Retour aux sources) et vendu à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires, cet auteur survivaliste suisse de 47 ans, proche des milieux d’extrême droite, développe la thèse d’un effondrement énergétique, écologique, financier, politique, social et économique menant à un état de guerre généralisé d’ici à 2025. Selon lui, la guerre civile est inéluctable. Il prône le développement de zones rurales autosuffisantes pour pouvoir y survivre. Il a récemment réédité son ouvrage en l’estampillant « édition de combat », car, se justifie-t-il, la couverture est « moins fragile » que celle de l’édition originale… Et il ne désespère pas d’en faire une version de poche.
« Piero San Giorgio est très connoté, mais il est l’auteur de best-sellers qui font référence dans le milieu du survivalisme. Il ne dispose pas d’un temps de parole supérieur à celui des autres conférenciers, et le visiteur a le choix d’aller l’écouter ou non », se défend Clément Champault, rappelant que le Salon du survivalisme est « apolitique ».
« LE SURVIVALISME, C’EST AVANT TOUT DU BON SENS. » GUILLAUME, 28 ANS, SURVIVALISTE DES ARDENNES
Guillaume, 28 ans, survivaliste des Ardennes et futur papa, est impatient d’entendre Piero San Giorgio. « Il représente une tendance extrême que je n’affectionne pas, mais j’ai lu ses livres et j’adhère à son concept de “base autonome durable” qui implique, notamment, d’avoir un potager, d’être autonome en eau, raconte ce jeune boucher, qui a souhaité garder l’anonymat, joint par téléphone. Je ne crois pas à l’apocalypse, mais il faut être préparé face aux problèmes qui peuvent profondément changer notre quotidien. » Sur sa page Facebook baptisée « No Man’s Land 08 », Guillaume partage ses tuyaux, qui vont de l’art de la bouture en bocaux pour multiplier ses petits arbres fruitiers, et donc ses vivres, au transport d’une tronçonneuse dans sa voiture les jours de tempête afin de pouvoir dégager une route en cas de chute d’arbres.Le risque de produits gadgets
« Le survivalisme, c’est avant tout du bon sens, rappelle le jeune homme. Ça consiste à être conscient qu’il existe des risques, à être le moins possible dépendant des secours et des services de l’Etat, et donc davantage capable de venir en aide à son prochain. » Son attachement à l’autonomie lui inspire cependant la crainte de voir se développer avec ce type de salon une forme de « prêt-à-porter » du survivalisme. « Le contenu d’un sac d’évacuation, par exemple, dépend de notre environnement, de nos habitudes. Je n’aimerais pas voir émerger un marché de produits uniformes relevant du gadget. »
« UNE MACHETTE, UN BON PULL EN LAINE ET UN PONCHO DE PLUIE, C’EST LA BASE DU SURVIVALISME. » DAVID MANISE, ORGANISATEUR DE STAGES DE SURVIE EN FRANCE
David Manise, lui, a décidé de « boycotter » l’événement. Biceps plein les manches et tatouages jusqu’aux coudes, ce Belgo-Canadien de 43 ans, père de trois enfants, est pourtant un précurseur des stages de survie en France depuis le début des années 2000 et l’auteur du Manuel de (sur) vie en milieu naturel (Amphora, 2016). « C’est sûrement un suicide commercial de ne pas y être, mais je ne me reconnais pas dans ce gros coup marketing qui affiche en plus une tolérance à l’ultradroite », souligne l’homme qui vit pieds nus dans un hameau en cul-de-sac adossé aux Préalpes drômoises. Près du poêle à bois qui chauffe la grande maison de pierre qu’il occupe en échange de travaux forestiers et de bricolage, il désigne une machette qu’il possède depuis ses 7 ans, vestige de son enfance au Québec. « Pas besoin de matériel coûteux et sophistiqué, assure-t-il. Une machette, un bon pull en laine et un poncho de pluie, c’est la base du survivalisme, qui prend tout bêtement racine dans le scoutisme. »Selon David Manise, plus que les ouragans, les inondations ou les pannes d’électricité généralisées, le véritable danger serait que « les gens cessent de se serrer les coudes dans ces situations-là ». Mais la bonne nouvelle, « c’est que ça n’arrive quasiment jamais. Parce qu’être ensemble, échanger et coopérer donne aux humains un sentiment de sécurité, se réjouit-il. On a beau être la personne la mieux préparée du monde pour une attaque du yéti ou une nouvelle ère glaciaire, on n’est vraiment pas faits pour vivre seuls ». Le survivaliste dit l’avoir d’autant mieux compris que sa compagne l’a quitté il y a un peu plus d’un an. Et pour l’amour, plus dévastateur qu’un raz de marée, on n’a pas encore inventé de kit de survie.